10 Mar Qu’est-ce que l’hypersensibilité ? PEUT-ON VRAIMENT LA DÉFINIR ?
Qu'est-ce que l'hypersensibilité ?
Pourquoi se pose-t-on la question de l'hypersensibilité ?
Avant de s’intéresser à un sujet, il est important je crois de savoir pourquoi. Avec la thématique de l’hypersensibilité, il s’agit souvent d’une raison liée à une souffrance émotionnelle, une quête de sens aussi, une recherche d’identité.
J’essaierai dans cet article de faire bouger les lignes, en partant du connu pour peut-être vous conduire au bord de cet inconnu, à la rencontre du vide en Soi. Ce vide qui peut faire si peur et pourtant mère de toute chose, vie ou création. Car n’oublions pas qu’avant d’avoir façonné notre mental en tant qu’enfant, nous avons d’abord perçu, et ressenti. Ainsi, avec cette simple vision, l’intelligence émotionnelle se présente dans notre existence comme la mère de toutes les autres intelligences…
La sensibilité a travers les ages
L’apparition du terme de « sensibilité » apparaît au XIIIème siècle, pour distinguer l’âme sensible de l’âme raisonnable. Mais remarquons qu’à l’époque, cela est plus vu comme un complément qu’une opposition … Ainsi, « sensible » est associé au mot « sensé » pendant longtemps. Puis au XVIIème siècle, « sensible » signifie « qui ressent une impression » puis « qui est facilement ému ». Au XVIIIème siècle, « sensible » se donne comme adjectif définissant la capacité à ressentir des sentiments humains (malheureusement à l’époque, on ne parlait pas de sensibilité pour les autres règnes !). Au XIXe siècle, on voit apparaître la notion d’« ultra-sensible » qui désigne souvent de façon plutôt positive un degré de sensibilité permettant de saisir les choses avec subtilité. Aujourd’hui, d’après le Larousse, la sensibilité est l’aptitude à réagir plus ou moins vivement à un événement ou une situation. Il s’agit de l’aptitude à s’émouvoir, à éprouver des sentiments d’humanité, de compassion, de tendresse pour autrui.
A travers cette évolution dans la sémantique à travers les âges, nous constatons que quelque chose à bel et bien changé dans notre approche humaine et définition de la sensibilité. Quelque chose de profond qui touche à notre perception de cette capacité mais qui est pourtant fondamental. Fondamental, car la sensibilité semble toujours être au cœur de nos recherches personnelles, même si l’on ne le crie pas sur tous les toits ! Aujourd’hui, ne dit-on pas par exemple que l’on choisit un métier en fonction de sa « sensibilité » ? Le mot même touche donc bien notre recherche de définition de notre identité. Mais peut-on vraiment nous définir ? Tel est le paradoxe.
Avant de parler d’hypersensibilité, nous voyons déjà que cette capacité a tellement de façon de se traduire, de se dire, tente de se définir. Il existerait peut-être plutôt DES sensibilités différentes, pouvant se traduire de façon différentes, aussi différentes qu’il y a d’êtres vivants sur cette terre. Car notre sensibilité personnelle est sans doute aussi liée à notre individualité et à notre histoire, en tout cas celle que l’on semble se raconter, celle que l’on se crée, tel un personnage d’un film… mais continuons d’avancer pas à pas !
Une (haute) sensibilité innée ou acquise ?
La chercheuse américaine Elaine Aron évoque un trait génétique, qui aurait été conservé pendant l’évolution. Chez les animaux par exemple, la haute sensibilité sensorielle notamment présentait de nombreux avantage en terme de survie. Comme nous le verrons dans la suite de l’article, les facteurs d’influence extérieurs, notre environnement semblerait aussi pour elle avoir une « explication » capitale dans la haute sensibilité. Cette notion renvoie à un tempérament, à une caractéristique individuelle qui permet d’identifier un ensemble clinique défini en 1996 par Elaine Aron [1]. L’auteure revisite, par le biais d’études empiriques, le concept de « sensibilité innée » introduite en 1913 par Carl Gustav Jung [2].
Des sensibilités diverses
Nous comprenons que « l’hypersensibilité » elle aussi peut se traduire de différentes façons chez chaque personne, tant elle est liée à l’individualité, à l’histoire personnelle. En donner une définition précise serait donc contre-productif et ne ferait que nourrir l’égo, en catégorisant et en réduisant les individus en terme de richesse de palette émotionnelle, qui compose elles toutes ensemble peut-être la sensibilité humaine, essence même de la vie.
Dans la suite, je proposerai un résumé des visions actuelles des spécialistes contemporains du sujet: psychanalystes, chercheurs, docteurs en psychologie humaine … qui par leurs études cliniques et leurs travaux ont essayé d’en dégager quelques traits communs.
Un début de description de la haute sensibilité ?
Pour Savario Tomasella, l’hypersensibilité est une sensibilité plus haute que la moyenne, dépendant d’un certain nombre de facteurs personnels comme : (i) la capacité de supporter la souffrance (physique, émotionnelle, mentale), (ii) les convenances apprises provenant de notre milieu familial, social (iii) les coutumes et systèmes culturels (par exemple: une personne peut ne pas être sensible à l’abattage d’animaux si elle a vécue pendant son enfance à la ferme où la pratique était une coutume, une habitude perçue comme « normale » [3]
La sensibilité environnementale
La chercheure américaine Elaine Aron est allée plus loin en définissant le concept de « sensibilité environnementale », qui est notre capacité à enregistrer et réagir aux défis et opportunités dans des conditions spécifiques de notre environnement [4].
Selon les résultats de l’étude, il y aurait 3 groupes distincts de personnes: (i) 30% aurait une sensibilité particulièrement haute (personnalités dites « orchidées »), (ii) 30% une sensibilité particulièrement basse (ou personnalités dites « pissenlits ») et (iii) 40% une sensibilité moyenne [5].
La sensibilité/susceptibilité différentielle et la sensibilite "avantageuse"
Toujours d’après cette récente étude, les « hypersensibles » ont une tendance plus importante que les autres à être touchés (i) soit « négativement » face à des circonstances difficiles (stress, deuil, séparation, violence…), mais aussi à (ii) réagir d’avantage à des signaux positifs (tels qu’encouragements, mot gentil, sourire…). D’où ces sensations de montagnes russes émotionnelles: de très grands hauts et aussi des bas abyssaux ! [6]
La notion de sensibilité avantageuse qui en découle est donc moins connue mais fait bien partie des caractéristiques décrites: les hypersensibles ont l’aptitude de mieux bénéficier ou profiter des opportunités avantageuses, comme par exemple un programme de prévention, un milieu bienveillant, un soutien amical ou familial…
Des similitudes ?
Les 4 pilliers d'Elaine Aron (D.O.E.S.)
A noter que dans le « modèle » de la chercheure américaine, les personnes qualifiées d’hypersensibles ont obligatoirement les 4 piliers présents dans leur tempérament, à différents degrés.
D – Depth of processing
Traitement en profondeur
O- Overstimulation
Surstimulation
E – Empathy
Empathie
S- Sensitive to subtleties
Sensibilité aux subtilités
D
Il s’agit d’une capacité du cerveau à traiter en profondeur l’information. Par exemple, quand vous voulez retenir un code de carte de crédit, votre cerveau va trouver un tas d’astuces mentale : vous essayer de trouver une logique, vous cherchez un symbolisme, un sens caché…les hypersensibles le font sans arrêt (i) soit inconsciemment (c’est aussi pour cela que les hypersensibles ont une très bonne intuition), (ii) soit consciemment, et du coup de façon plus lente que les autres dans ce cas (mais pas toujours), car il y a un traitement en profondeur de l’information …
O
Etant donné la caractéristique vue avant, le cerveau fonctionnant de cette façon même pendant le sommeil, les hypersensibles ont tendance à se fatiguer rapidement, et notamment car chaque petite chose dans une situation est perçue, d’autant plus si la situation est compliquée (plusieurs choses qui se passent en même temps), intense (par exemple bruits ou foule) ou persiste trop longtemps (par exemple 2h de transports publics par jour peuvent épuiser une personne hypersensible). Les hypersensibles auront donc envie souvent d’être seuls pour récupérer !
E
Les images IRM du cerveau montrent que les hypersensibles réagissent plus que les autres personnes, soit d’une façon « positive », soit d’une façon « négative ». Il s’agit donc d’une haute réceptivité émotionnelle. D’après la chercheure, l’enfance de la personne joue un rôle primordial: ainsi une personne hypersensible qui a eu une enfance « difficile » (abandon, attachement émotionnel délicat…) court le risque de développer de la timidité, de la dépression de l’anxiété…sachant que la timidité n’est pas une caractéristique des hypersensibles, car il y a des personnes extraverties hautement sensibles.
S
Celle-ci passe essentiellement par nos sens. La chercheure précise qu’il n’y a pas de particularité au niveau des organes sensoriels chez les personnes hypersensibles, c’est plutôt grâce au traitement approfondi et répété des informations sensorielles que la personne hautement sensible arrive à développer cette caractéristique. Et l’on retrouve ici aussi une stratégie faisant partie de la « survie » pour une personne hautement sensible (s’apercevoir des dangers, saisir les « bonnes » occasions, etc.) déjà évoquée auparavant par rapport au règne animal…
LA HAUTE SENSIBILITE ET L'ultrasensibilité VUES PAR Saverio Tomasella
Marie-France de Palacio et Saverio Tomasella proposent d’utiliser les termes « ultrasensible » et « ultrasensibilité », censés se départir de la connotation péjorative d’excès [7].
Ces auteurs considèrent pour la haute sensibilité une exacerbation des caractéristiques suivantes :
1. La sensorialité. Pour ces auteurs, la plupart des HPE sont aussi synesthésiques : si une personne sensible sent une odeur, elle va la visualiser. Les chiffres peuvent avoir des correspondances lumineuses, c’est ce dont Baudelaire parle dans son poème, donc ces personnes peuvent être gênées par la correspondance sensorielle autant que par le sens lui même.
2. L’émotivité: les émotions sont à la fois plus intenses et plus variées. Elles auront une résonance plus longue chez un très sensible. Même si la colère s’arrête dans son expression, le retentissement intérieur va durer. Et elles sont plus variées que les 5-6 émotions répertoriées (peur, tristesse, colère, joie, honte/gène), elles sont en tout cas perçues et décrites de façons plus subtiles.
3. La cognition: très souvent, les personnes hypersensibles passent leur temps à réfléchir, douter, décortiquer, avec un traitement en profondeur de l’info. Elles sont méticuleuses, perfectionnistes, ce qui peut même les empêcher de dormir.
Et la douance dans tout cela ?
Généralement quand on parle de « douance », il s’agit d’une douance intellectuelle (HPI, haut potentiel intellectuel ou « zèbre » ou surdoué), évaluée par le QI (sachant que le QI ne définit pas la douance mais « l’apprécie » seulement).
L’hypersensibilité concernerait la majorité des HPI, mais on pourrait être hypersensible (20 à 30% de la population suivant les études) sans être concerné par la douance (environ 2% de la population).
La notion de « Hauts potentiels émotionnels (HPE) » présente des points communs avec la haute sensibilité, mais également des différences [8]. Certains tests complémentaires sont en recherche et développement [9].
Le HPI peut se déceler par le biais d’un bilan psychométrique. Autant le QI (quotient intellectuel) est jugé globalement stable, autant le QE (quotient émotionnel) peut fortement évoluer pendant toute une vie ! La sensibilité et l’intelligence émotionnelle restent donc pour moi des messages d’avenir dans notre humanité…
Haut potentiel emotionnel (HPE) ou hypersensible (HS) ? [8]
POINTS COMMUNS HPE ET HS
- Sentiment de décalage et de différence avec l’entourage, le monde
- Emotions débordantes
- Sensibilité sensorielle élevée
- Empathie importante
- Une forte valeur pour la justice
- Intuition forte
- Activité de réflexion importante, quasi incessante
DIFFERENCES HPE ET HS
- Intelligence émotionnelle: pour les HS le QE est plutôt élevé, pour les HPE le QE est très élevé
- Mode de pensée: les HPE fonctionnent en arborescence, les HS de façon plus linéaire
- Empathie cognitive (capacité à détecter les émotions des autres personnes): les HPE l’ont toujours, cela est plus variable pour les HS
- Perfectionnisme, volonté permanente de s’améliorer. Oui pour les HPE, moins souvent pour les HS.
En résumé, les HPE sont souvent hypersensibles, mais on peut être HS sans être haut potentiel émotionnel.
Les HPE représentent environ 2% de la population, les HS en représentent 30%
Je vous propose d’évaluer dans le lien ci-contre votre sensibilité par un test qualitatif non certifié ré-adapté à partir des recherches citées tout au long de cet article.
Je vous propose d’en savoir plus que le test de quotient émotionnel (test CERTIFIE, méthode EQ-i 2.0 Bar-on) dans le lien ci-contre.
au-dela de l'égo ...
Ma proposition de coaching
Je vous accompagne à plonger dans vos profondeurs.
Comme dans cette vieille légende hindoue, qui raconte « qu’il y eut un temps où tous les hommes étaient des dieux. Mais ils abusèrent tellement de leur divinité que Brahma, le maître des dieux, décida de leur ôter le pouvoir divin et de le cacher à un endroit où il leur serait impossible de le retrouver. Le grand problème fut donc de lui trouver une cachette. Lorsque les dieux mineurs furent convoqués à un conseil pour résoudre ce problème, ils proposèrent ceci : — Enterrons la divinité de l’homme dans la terre. Mais Brahma répondit : — Non, cela ne suffit pas, car l’homme creusera et la trouvera. Alors les dieux répliquèrent : — Dans ce cas, jetons la divinité dans le plus profond des océans. Mais Brahma répondit à nouveau : — Non, car tôt ou tard, l’homme explorera les profondeurs de tous les océans, et il est certain qu’un jour, il la trouvera et la remontera à la surface. Alors les dieux mineurs conclurent : — Nous ne savons pas où la cacher car il ne semble pas exister sur terre ou dans la mer d’endroit que l’homme ne puisse atteindre un jour. Alors Brahma dit : — Voici ce que nous ferons de la divinité de l’homme : nous la cacherons au plus profond de lui-même, car c’est le seul endroit où il ne pensera jamais à chercher.
Depuis ce temps-là, conclut la légende, l’homme a fait le tour de la terre, il a exploré, escaladé, plongé et creusé, à la recherche de quelque chose qui se trouve en lui… »
Principales références bibliographiques
[2] Elaine Aron, « Revisiting Jung’s concept of innate sensitiveness », Journal of Analytical Psychology, .
[3] Saverio Tomasella, Hypersensibles, trop sensibles pour être heureux ?, Paris, Eyrolles, 2012, (ISBN 978-2-412-05046-0).
[4] Aron, E., Aron A., and Jagiellowicz, J. « Sensory processing sensitivity: A review in the light of the evolution of biological responsivity », Personality and Social Psychology Review, 16, 262-282, 2012
[5] Lionetti, F., Aron, A., Aron, E. N., Burns, G. L., Jagiellowicz, J., & Pluess, M. (2018). Dandelions, tulips and orchids: evidence for the existence of low-sensitive, medium-sensitive and high-sensitive individuals. Translational Psychiatry, 8(1).
[6] Aron, E. N., Aron, A., & Davies, K., « Adult shyness: The interaction of temperamental sensitivity and an adverse childhood environment. » Personality and Social Psychology Bulletin, 31, 181-197, 2005.
[7] Marie-France de Palacio, « Hypersensible ou ultrasensible ? », sur Observatoire de l’ultrasensibilité,
[9] https://sensitivityresearch.com/research/sensitivity-measures/
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